Introduction à un petit exercice de prospective : les élections présidentielles de Taïwan du 13 janvier 2024 🇹🇼
Qu’est-ce que la prospective ?
La prospective n’est pas de la prévision (qui suit des modèles quantitatifs et qualitatifs), mais une forme d’exploration pour “voir plus neuf, voir plus large et plus profond” (pour reprendre les termes de Gaston Berger) et qui doit s’intégrer à l’échelle d’une génération. Cela revient à explorer le réel, pour repenser notre socle de connaissances, observer ce que l’on n’a pas l’habitude de regarder et porter son intérêt sur ce qui est en dehors du décor classique.
Les faits : 13 janvier 2024, les élections à Taïwan 🇹🇼
Entamée en 1988, la démocratisation de l’île a vu la première élection présidentielle au suffrage universel direct se dérouler en 1996. Déjà à l’époque la Chine menait des manœuvres militaires d’intimidations, Lee Teng-hui était prolongé dans ses fonctions. Cette année, doit voir l’élection du 16e président et vice-président de la République de Chine, ainsi que l’élection de la 11e législature. 19,5 millions d’électeurs sont appelés à s’exprimer sur leur avenir (sur une population de 23,5 millions d’habitants).
L’élection présidentielle est un scrutin au suffrage universel direct à un tour avec le choix d’un ticket président, vice-président élu pour 4 ans renouvelables une fois. Tsai Ing-wen qui finit son deuxième mandat ne peut donc être réélue. Sur le vu des sondages, le choix devrait se porter sur trois tickets principaux :
- Lai Ching-Te et son colistier Hsiao Bi-khim sont du parti démocrate progressiste (DPP), celui de la présidente sortante. Ce sont tous deux de fervents défenseurs de la souveraineté de Taïwan. Leur couleur électorale est le Vert ;
- Hou Yu-ih et Jaw Shaw-kong sont issus du Kuomintang (KMT) et sont favorables à la négociation, le consensus et le compromis avec Pékin. Leur couleur électorale est le Bleu ;
- Ko Wen-je, du nouveau parti populiste (TPP) et sa colistière Wu Hsin-ying, législatrice. L’objectif de cette équipe est d’exister et pourquoi pas de jouer le rôle d’arbitre. Leur couleur électorale est le Blanc.
Cette triade a l’avenir de Taïwan entre ses mains, puisque cette élection de 2024 déterminera l’avenir de l’île, de ses habitants et de la région tout entière. Le ticket gagnant déclenchera une réaction de Pékin, voire de Washington.
Quelques questions essentielles :
Quel que soit le résultat envisagé, quelles observations pourrions-nous faire pour anticiper ce qui peut l’être :
- Comment les jeunes, dont le service militaire a été allongé de 4 mois à 1 an, vont-ils se positionner ? Sont-ils prêts à faire la guerre contre la Chine qui est en supériorité numérique sans conteste ?
- Quelle va être l’attitude des électeurs ? Vont-ils chercher une autre alternative aux partis traditionnels ?
- Quel est le degré d’infiltration de l’influence chinoise dans la société et les médias taïwanais ? Quelle est l’influence chinoise sur les réseaux sociaux de l’île et auprès des jeunes ? En d’autres termes, les réseaux sociaux vont-ils s’immiscer dans ces élections démocratiques ?
- Où en sont les Taïwanais avec les attaques informationnelles chinoises et les attaques cyber, telles que les opérations de “spamouflage” dénoncées par Microsoft il y a quelques mois ?
- Les questions socio-économiques et environnementales ont-elles une forte place dans la population? Cela peut-il être un enjeu particulier ?
- En cas de résultats tant aux élections présidentielles que législatives, une coalition tricolore est-elle possible ?
- …
En élargissant la focale, quel questionnement pourrions-nous avoir d’un point de vue régional et international, puisque Taïwan est sur une ligne de fracture géopolitique sensible ?
- Quelles pourraient être les réactions de l’ASEAN selon le ticket vainqueur ?
- Quelles seraient les réactions de Pékin ? Colère et manœuvres militaires autour de l’île, attaques informationnelles décuplées, acceptation des résultats et satisfaction du résultat démocratique ?
- Quelles seraient les réactions de Washington et où serait son positionnement d’ambiguïté stratégique en cette année d’élection pour les États-Unis ?
- …
Réaliser une étude prospective nécessite d’ouvrir son esprit et de ne pas se contenter d’affirmations à l’emporte-pièce, mais de couvrir tous les champs du possible. Enfin, ne l’oublions pas, les conseilleurs ne sont jamais les payeurs …
N.B : pour en savoir plus, n’hésitez pas à rejoindre la visioconférence organisée par Estelle Prin et moi-même le 25 janvier 2024 de 12h15 à 12h45, Taiwan : what is the new situation after the presidential election ?. Le lien zoom sera noté dans l’évènement Linkedin
1er janvier 2024, les BRICS sont devenus les BRICS+
Au milieu des feux d’artifice et des augmentations en tous genres, des fracas des guerres et des parties de poker menteur, une augmentation est passée sous les radars : celles des BRICS. De 5, le groupe vient de passer à 10.
De qui s’agit-il ?
En sommet à Johannesburg au mois d’août 2023, le groupe des 5 pays que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont accueilli 6 autres pays qui devaient intégrer le bloc le 1er janvier 2024. Il s’agissait de l’Argentine, l’Iran, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. Mais au total, les BRICS ne seront que 10, l’Argentine et son nouveau président Javier Milei ont décliné l’acceptation aux motifs «d’encourager des contrats avec les communistes parce qu’ils ne respectent pas les bases du libre-échange, la liberté et la démocratie»(1). Le terme usité de BRIC fut “créé” par Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs en 2001. À l’adhésion de l’Afrique du Sud en 2011, la déclinaison s’est faite en BRICS. Aujourd’hui à 10, il semble que l’acronyme utilisé sera BRICS+.
Mais encore ?
À l’origine, leur souhait était de réformer l’organisation économique internationale, et de faire un nouveau bloc face au Fonds Monétaire International et à la Banque mondiale, ce qui jusqu’à aujourd’hui n’a pas été vraiment le cas.
A vu d’œil, les BRICS+ représentent 46% de la population, 25% du PIB mondial et produisent presque la moitié des hydrocarbures et des céréales de la planète.
Alors, bloc contre bloc(s) ?
Probablement pas, mais perturbateurs sans doute, d’autant que les deux mastodontes de ce bloc, Russie et Chine sont des puissances révisionnistes qui rêvent de renverser l’ordre ancien. Malheureusement (ou heureusement), les BRICS + ne forment pas un groupe homogène. Certes, ils représentent 45% de la population mondiale. Mais comment intégrer cette donnée quand 2 des 10 pays représentent à eux seuls environ 3 milliards d’individus ? Par ailleurs, les données économiques aussi impressionnantes soient-elles, mais très hétérogènes, peuvent-elles permettre de rivaliser avec les pays du G7 ? Quels types de blocs pourrions-nous avoir ? Un bloc économico-militaire (UE-OTAN) face à un groupe de pays hétérogènes dont certains sont inféodés militairement aux États-Unis ? L’avenir nous le dira.
2024 si elle n’était pas dangereuse par ailleurs, pourrait être une année passionnante !
(1) https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-argentine-de-milei-n-adherera-pas-au-bloc-des-brics-20231229