Ne faisons pas de l’espace notre projection de foutoir!
Du prestige de l’espace
Ne soyons pas naïfs et malgré les mouvements gravitationnels essayons de regarder les choses en face : l’espace fait rêver non pas parce que la vue y est belle, ni parce que c’est difficile, mais bien parce que le business de demain pourra se faire là-haut. L’écosystème économique du spatial est déjà en plein essor. Mais prenons garde à ne pas transformer cet espace infini en une gigantesque poubelle. A l’heure de la problématique du changement climatique de la terre, n’allons pas reproduire nos ambitions impériales et colonisatrices dans cette étendue infinie. Tout comme nous n’avons qu’une seule terre, le système solaire est unique et nous devons y respecter les règles internationales mais aussi une certaine éthique.
L’actualité spatiale, pour qui tente de la suivre régulièrement, est faite de lancements de fusées, de mise à poste de satellites, de constellations de cubsat (satellite de la taille d’une boîte à chaussure), de succès et d’échecs. Les cadences de lancements augmentent d’années en années, puisque le nouvel écosystème public-privé a permis de booster la compétition spatiale et de permettre à de nouvelles nations d’entrer dans le club si élitiste. Il va de soi que tout cela a une empreinte carbone importante. Qu’en est-il des conséquences en terme d’effet de serre et de pollution atmosphérique et d’impacts indirects sur la biodiversité ?
Rapid Unscheduled Disassembly
Prenons le dernier lancement de Space X, celui du mégalanceur Starship, haut de 120 mètres et d’une masse au décollage de plus de 5000 tonnes, dont 4600 tonnes d’ergols et composé de 33 moteurs Raptor. Les conséquences du tir, outre la destruction partiel du pas de tir de Starbase Boca Chica au Texas, se sont faites ressentir jusqu’à 10 km autour avec, certes, des fenêtres brisées, mais aussi une pluie brune et grasse de poussières ainsi que de divers objets. Mais qu’en est-il des conséquences dans l’atmosphère de l’explosion de l’engin après 3 minutes de vol à une vitesse de 2157 km/h et une altitude de 39km ? Elon Musk ne nous surprend plus avec ses frasques, mais force est de constater que sa conception « fail fast to learn faster » (« échouer rapidement pour apprendre vite »), si elle a du bon dans la vie quotidienne, peut s’avérer lourde de conséquences dans l’écosystème spatial puisqu’à ce jour, nous ne connaissons pas les conséquences des lancements dans l’équilibre radiatif de l’atmosphère. N’y-a-t-il donc pas matière à poser quelques questions éthiques ?
Droit de l’espace et éthique
Les enjeux de l’espace passent par le respect du droit international et des différents traités s’y rapportant ainsi que par le respect des principes clés. Ces derniers sont la non-appropriation, le libre accès, celui de la responsabilité des États à partir desquels les activités spatiales sont lancées et le principe de l’utilisation pacifique. Pour la forme et la curiosité, il convient d’en rappeler les deux essentiels : celui de 1967, Traité sur les principes régissant les États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et celui de 1979, régissant les activités des États sur la Lune et autres corps célestes. Ce dernier traité est, aujourd’hui, d’une importance capitale, puisqu’il pose comme postulat celui de la non-appropriation d’aucun objet céleste, Lune y compris et stipule par son article 11 que « la Lune ne peut faire l’objet d’aucune appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ni d’occupation, ni par aucun autre moyen. Ni la surface ni le sous-sol de la Lune, ni une partie quelconque de celle-ci ou les ressources naturelles qui s’y trouvent, ne peuvent devenir la propriété d’États, d’organisations internationales intergouvernementales ou de personnes physiques ». En d’autres termes, la Lune et l’ensemble des corps célestes n’appartiennent à personne en particulier et sont un bien commun de l’humanité. La curiosité nous conduit à rajouter un point : ce traité de 1979 ne fut pas ratifié par tous. En particulier par les Etats-Unis, la Chine et la Russie … Étonnant, n’est-ce pas ?…
Non l’espace ce n’est pas les mines de charbon de la Révolution industrielle
Là où il y a plus d’un siècle, au nom de la notion de capitalisme, certains se sont approprier terre et sous-sol pour y forer et développer des activités minières en tout genre dans un but spéculatif et d’enrichissement, il ne faudrait pas que les descendants de ces pionniers réitèrent ce genre d’affaire dans l’espace.
Les enjeux sont de taille : la survie de notre planète passe aussi par le maintien de l’espace comme un environnement sain. L’espace a changé notre manière de vivre ensemble et aide à la gestion de risque, à la protection des populations, de la planète par les prévisions météorologiques, de la surveillance des catastrophes naturelles (ou pas) majeures et de l’aide à la sécurité civile et de la lutte contre la faim par la gestion des données à caractères agricoles. Prenons-donc garde à ne pas reproduire cet impérialisme colonialiste dans l’espace. Faute de plus de place sur Terre n’allons pas mettre le bazar là-haut et pensons à nous interroger sur les raisons d’être de nos actions et à préserver un usage pérenne et durable de l’espace
Photo : Modélisation des débris spatiaux autour de la Terre (Electro Optic Systems – AFP)