Article publié le 8 décembre 2022 sur le site epge.fr à l’adresse suivante : https://www.epge.fr/comment-lallemagne-voit-elle-son-avenir/
L’article, “The Global Zeitenwende, how to avoid a new cold war in a multipolar era”* paru en ligne le 5 décembre 2022 sur le site de Foreign Affairs est écrit par le chancelier Scholtz, et il est passionnant du fait de la multitude d’informations qu’il nous donne. Il est disponible en anglais et en allemand. À tout le moins, les Allemands doivent savoir où ils vont. Et, ils le savent très bien.
Vous avez dit “Global” ?
Le chancelier Scholtz décrit donc par le menu ses ambitions pour l’Allemagne dans un monde multipolaire et son positionnement au sein de l’OTAN, de l’UE et par rapport à ses principaux partenaires, les États-Unis et la Chine. La France ? Que nenni ! Une ligne à propos des accords de Minsk, une autre petite quant au partage de la vision souveraine de l’Europe. Pour le reste, l’aigle teuton analyse la situation du haut de son pic pendant que le coq gaulois caquette et s’excite dans sa basse-cour.
Quand l’un expose froidement ses ambitions pour son pays dans une revue spécialisée de relations internationales, un autre se met en scène sur YouTube quand ce n’est pas sur Brut. Le décor n’est évidemment pas le même. Dommage, dans la situation où la France se trouve, elle devrait être attentive à ses voisins. Surtout, quand l’un d’eux est censé former un couple moteur avec elle. Woody Allen ne donnait-il pas du couple la définition suivante : “[…] quand deux personnes n’en font plus qu’une, mais la question est de savoir laquelle”. À la lecture de cet article, nous savons. L’Allemagne, et seuls les naïfs seront surpris, veut garder le “lead” sur le continent européen. Garder, parce que bien sûr, elle l’a pris il y a des années de cela à la faveur du renouvellement de son personnel politique. Il y a ceux qui avancent et les autres.
Cela exposé, revenons à l’article de monsieur Scholtz. Toute l’ambition du chancelier est de nous expliquer que la Global Zeitenwende est faite pour durer et d’aller au-delà de la guerre d’Ukraine. Il est très précis sur ce point puisqu’il affirme que “[…] Germans are intent on becoming the guarantor of European security that our allies expect us to be, a bridge builder within the European Union and an advocate for multilateral solutions to global problems”, qui peut être traduit de la façon suivante : “les Allemands ont l’intention de devenir le garant de la sécurité européenne que nos alliés attendent de nous, un bâtisseur de ponts au sein de l’Union européenne et un défenseur des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux.”
Il suffit de localiser l’Allemagne sur une carte et de se rendre compte de cette masse au milieu de l’Union Européenne. Donc, oui, elle peut être un pont vers les autres pays, d’autant qu’elle s’appuie sur deux piliers qu’elle maîtrise : l’UE et l’OTAN.
Retour sur l’histoire
Dans un premier temps, O. Scholtz rappelle certains fondamentaux historiques de l’Allemagne post 1945 au sein de l’Europe et du monde et la part de responsabilité de celle-ci. Et c’est cela qui est particulièrement intéressant, puisque c’est ce passé, cette histoire qui lui semble justifier le rôle de leader de son pays aujourd’hui et dans le futur.
Après avoir été responsable de deux cataclysmes, l’Allemagne se serait reconstruite grâce à la force et au courage des Allemands dont une partie aurait su se libérer du totalitarisme soviétique. Synthèse rapide de l’histoire qui pose un postulat : vaincu, reconstruit, vainqueur, donc légitime. Peut-être… Mais il y a tellement à expliquer sur cette Histoire, tant à développer sur cette reconstruction de l’Allemagne dont l’accroissement de puissance faite par et avec l’économie avec la bénédiction des États-Unis. Son socle cognitif est extrêmement puissant. L’héritage protestant de son histoire alimente ses valeurs de travail, de connaissance et de commerce, quand en France nous nous tirons des balles dans le pied par idéologie et dogmatisme. Quant à la réunification des deux Allemagnes, bien sûre qu’elle fut pacifique. Mais à quel prix ? Celui d’une anschluss économique de l’ouest sur l’est, ni plus ni moins…
The Empire strikes back
Ensuite, O. Scholtz aborde l’“Empire strikes back”. À la lecture de la première partie, certains esprits facétieux pourraient poser la question : « quel empire ? Celui de Guillaume ? » Non, bien sûr, celui du voisin russe. Le même avec lequel madame Merkel s’est servie en énergie, le même sur lequel Gerhard Schröder et d’autres ont œuvré. Mais la vision d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier et sur ce point, la mémoire semble faire défaut à l’auteur.
Avec de telles démonstrations, l’Allemagne se propose d’être notre guide dans une Europe qui doit être forte. Mais forte, comment ? Tout simplement en étant son centre, comme le moyeu d’une roue et les rayons ses partenaires qu’elle utilise à bon ou à mauvais escient. Cela se passe dans un système multipolaire. La puissance du centre commande les autres pays et s’assure que les relations entre eux ne sont pas plus importantes que celles avec elle. Ainsi, tout en préservant sa suprématie, il y a une volonté de coopérer avec les autres puissances. C’est le système bismarckien en relations internationales. Bismarckien, de Carl Von Bismarck. Tout simplement.
Aujourd’hui, l’Allemagne l’adapte à l’environnement multipolaire et utilise les institutions telles que l’OTAN et l’UE comme des courroies de transmission à son accroissement de puissance. Elle se positionne ainsi comme seul élément indispensable vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Ainsi, l’Allemagne, non seulement d’être un centre géographique, se positionne au centre du nouvel environnement multipolaire. Il ne lui manque plus qu’une seule chose : un siège au Conseil de Sécurité de l’ONU…
Qui a dit que l’Allemagne allait mal ? Dans toute son histoire, chaque épreuve que ce pays a pu subir fut une force. Et chaque fois, elle en est sortie plus puissante. Aujourd’hui, l’Allemagne est fortement impactée par la crise énergétique. Cela va lui servir de levier pour aller encore plus de l’avant.
Frédérique Anckner-Hebbrecht
*Scholz, Olaf. 2022. « The Global Zeitenwende ». Foreign Affairs, 5 décembre 2022. https://www.foreignaffairs.com/germany/olaf-scholz-global-zeitenwende-how-avoid-new-cold-war.
Pour aller plus loin :
Anckner-Hebbrecht, Frédérique, Raphaele Calendrelli, et Gaulthier Mousouami. s. d. “Les contradictions allemandes par rapport à la construction européenne | École de Guerre Economique”. Consulté le 8 décembre 2022. https://www.ege.fr/infoguerre/les-contradictions-allemandes-par-rapport-la-construction-europeenne.
Honban, Leonie Stephanie, et Maria Victoria. 2022. « Les limites de la démarche spatiale européenne ». ege.fr/infoguerre, novembre 46. https://www.ege.fr/sites/ege.fr/files/media_files/Rapport_Stratégie%20militaire%20spatiale%20Allemagne_MSIE39.pdf.