“Je vous écris de Kaboul”
C’est la couleur bleue de l’ouvrage que mon œil a tout d’abord aperçu en vision latérale. Ce bleu emblématique d’une tenue régionale bien particulière. Celle qui enveloppe les femmes derrière un grillage. On appelle cela une burqa. En ce samedi après-midi, alors que je déambule dans cette grande librairie, mon cerveau me dit de regarder sur ma droite. « Regarde celui-ci » me dit cette petite voix. Allez savoir pourquoi je n’ose le prendre ? Peur qu’il me brûle les doigts par l’histoire de cette femme, peur de l’indicible comme peut-être le quotidien des femmes dans ce pays ? Je le prends.
Ce témoignage est celui du combat d’une femme éduquée en Afghanistan. On ne peut s’imaginer ce que peut-être le quotidien de ces femmes. Notre confort ne nous permet pas de nous représenter ce qu’elles vivent sous le régime des talibans. Ni celles de Kaboul, éduquées, ni celles isolées dans le reste du territoire. Il semble que ce soit d’un autre temps. Le courage de Khatera est exemplaire et nous rappelle que le monde ne se résume pas à l’Occident. Les Afghanes ont été abandonnées. Que va-t-il advenir de ce pays ? De ses enfants ? De ses (et ces) femmes ? Tout compte fait, nous savons peu de choses de la liberté. J’espère que Khatera est en sécurité. Peut-elle l’être ? J’espère qu’il y aura une suite à cet ouvrage.
Le cimetière des empires
L’Afghanistan fait partie de ces pays qui m’ont fait rêver. Adolescente, je me nourrissais de tous ces romans d’aventures. Je passais des heures avec Rudyart Kipling, James Oliver Curwood, Jack London et bien d’autres. Kessel en faisait partie. Les Cavaliers aussi. Mais aussi surprenant que cela puisse paraître, sa relecture en 2021 m’a laissé un goût amer au point de ne pas le terminer. L’histoire de ces vingt dernières années n’est pas étrangère à ce sentiment. Adolescente, je vivais déjà dans ce confort occidental. J’ai connu la Guerre froide et par média interposé, les conflits de proxy. Je me souviens de mon père particulièrement horrifié et en colère par l’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques en ce mois de décembre 1979 . Ayant grandi sous l’occupation et appelé en Algérie, il abhorrait le parti communiste et ses trahisons, ses représentants et leurs actions. L’invasion de l’Afghanistan ne pouvait lui rappeler que des heures sombres comme celles des journées de Prague. L’absence de réaction du PCF exacerbait sa colère. Comme un acte de résistance, nous avions été à une conférence animée par Michel Montésinos dans le cadre des circuits des « Connaissances du Monde » Salle Pleyel. L’ouvrage qu’il présentait, « Afghanistan au carrefour des temps » date de 1975, les photos y sont admirables, magnifiques, et les Bouddhas de Bamiyan sont entiers. Un pays comme les ados de l’époque aimaient à rêver.
Mais voilà, l’histoire est ainsi faite …
Ici comme là-bas, les rêves se sont fracassés contre la dure réalité. Il y a bien eu de la résistance. Celle des moudjahidines et de Ahmed Chah Massoud avait un côté de rebelles romantiques dont la France a le secret pour le narratif. L’Occident n’a pas choisi le bon combattant et les missiles Stinger ont été livrés à Gulbuddin Hekmatyar. En 1989, les Soviétiques sont partis, laissant plus de 14000 cercueils de plombs derrière eux et un bilan de civils oscillant entre 500 000 et 2 millions de morts et disparus ainsi qu’une guerre civile. En 2001, Massoud a été assassiné et les ennuis ont commencés pour l’hégémon américain et pour nous. Pour le peuple Afghan, le chaos continua pour atteindre le tréfonds de l’enfer.
L’Afghanistan fait partie de ces pays qui m’ont donné le goût de l’histoire, de la géographie. À l’époque, le terme géopolitique était proscrit. Mais il s’agissait bien de cela, comprendre ces pays incompréhensibles dans leurs cultures et dans les relations avec leurs voisins et les autres.
L’Afghanistan fut le cimetière de l’Empire britannique, de l’Union soviétique et des États-Unis, par ignorance et méconnaissance. L’un des principes de base de Sun Tzu, est le suivant : «connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ; en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger». Et quand bien même l’idée d’envahir un pays effleure le cerveau d’un dirigeant, cette maxime doit être de rigueur, du moins s’il veut gagner. Le dernier exemple de 2022 en est encore la preuve.
Que va devenir l’Afghanistan ?
La richesse d’un pays c’est aussi sa population. Ses hommes, ses femmes et ses enfants qui feront son avenir. Condamner à l’inexistence l’une de ces catégories, c’est se priver d’une richesse incommensurable. C’est appauvrir son territoire. Quel que soit le filet dans lequel l’Afghanistan va tomber, la question démographique se posera à un moment ou à un autre. Qu’il s’agisse de plantations d’opium ou d’exploitations minières, la main-d’œuvre afghane est source de richesse. L’apprentissage du Coran n’apprend pas à construire des ponts et des routes permettant aux populations de se déplacer, de travailler et de subvenir à ses besoins, de former des médecins qui soigneront les hommes et aideront les femmes à mettre au monde des enfants, ceux qui construiront l’avenir de ce pays. Que va-t-il devenir, noyé dans cet obscurantisme infini ? Comment va-t-il avancer dans ce monde multipolaire en mouvement ? Car avancer, c’est accepter la connaissance, remettre en question son savoir et l’enrichir pour mieux apprendre et de fait, appréhender et construire l’avenir…