Pourquoi la compréhension de la géopolitique et de la géoéconomie est-elle essentielle pour votre entreprise ?
Géopolitique ? Géoéconomie ?
Si les relations internationales sont l’expression des relations entre les nations et leurs représentants, la géopolitique peut être vue de deux façons : d’une part comme une grille de lecture spécifique entre la géographie et la politique d’un État : influence du territoire sur la politique extérieure et de ses choix stratégiques en fonction de sa géographie (ouverture à la mer, superficie, géographie physique et économique …), d’autre part, comme “l’étude des rivalités de pouvoir sur des territoires, et les populations qui y vivent” tel que défini par Yves Lacoste.
Quant à la géoéconomie, là aussi, nous pouvons avoir deux visions. La première comme l’étude des interdépendances entre géographie d’un État et son économie, mais aussi comme l’utilisation d’instruments économiques par un État pour promouvoir ou défendre ses intérêts nationaux et produire des résultats économiques dudit État1. Pour aller plus dans notre monde interconnecté, Christian Harbulot donne la définition suivante : “expression majeure des rapports de force non militaires” permettant à un État d’effectuer son accroissement de puissance par l’économie.
Pourquoi tout le monde est-il concerné ?
La mondialisation a créé une interdépendance économique conduisant les pays occidentaux à repenser leurs stratégies. C’est ainsi que la France et une partie de l’Europe a désindustrialisé et délocalisé ses industries au profit d’un marché de services.
Nous vivons dans une compétition économique internationale pour laquelle nous n’avons plus de repères et devons changer de grille de lecture. Les grandes entreprises et celles du CAC40 semblent l’avoir compris et intégré dans leur stratégie de développement.
Qu’en est-il des TPE et PME ? Beaucoup de leurs dirigeants me disent ne pas être concernés. Il me suffit alors de leur poser juste quelques questions sur la situation de leurs approvisionnements en matières premières et les délais fournisseurs pour éclairer un champ obscur. Encore trop de décideurs ont une grille de lecture d’un autre temps : un problème conjoncturel demande une réponse de l’État par le biais d’une subvention, d’une aide, voire d’un chèque en blanc. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Avec un endettement de 3100 milliards d’euros (soit 5,5% du PIB), la France n’a plus les moyens de pourvoir aux aléas consécutifs à un manque d’anticipation stratégique.
Il faut donc changer de matrice et de grille de lecture et accepter la dangerosité du monde économique. Cela commence, pour le dirigeant de TPE ou PME d’admettre qu’un conflit dans une partie du monde peut avoir une répercussion sur un secteur particulier. L’effet papillon, expression de 1972 d’Edward Lorenz, est la métaphore d’un phénomène fondamental aux premières conditions de la théorie du chaos. Ainsi, comment un évènement isolé ou insignifiant dans une partie du monde peut-il avoir des conséquences inattendues, comme le battement d’ailes d’un papillon peut altérer le temps à un instant t ?
Exemple
Consécutivement aux tragiques évènements du 7 octobre 2023 en Israël, les délais d’approvisionnement en fournitures depuis la Chine se sont considérablement rallongés puisque les cargos doivent passer le Cap de Bonne Espérance, et ne plus utiliser le passage de Bab el-Mandeb, et ce pour une période indéterminée. La deuxième conséquence est que l’Égypte s’assurait jusqu’alors une rente avec le canal de Suez. En 2023, les revenus générés par ce passage ont apporté 9 milliards d’euros. Depuis le début de l’année, ces rentrées en devises ont chuté de 40 à 50%. Or ces recettes permettent de maintenir un semblant de stabilité sociale dans le pays. Si la situation venait à persister, le pays pourrait sombrer de nouveau dans le chaos impactant par conséquent les partenaires économiques de ce pays (et ainsi de suite …).
Solution
Ce genre de situation oblige à repenser toutes les chaînes logistiques avec la mise en place d’une sécurité d’approvisionnement sans ruptures possible et la mise en place de stocks stratégiques honnis par les gestionnaires et les fans de tableaux Excel. L’entreprise doit donc regarder ses chaînes de valeur pour identifier ses risques géopolitiques. Il s’agit d’une expertise particulière qui ne se trouve pas sur étagère, mais permet d’établir une stratégie pérenne.
Dans une période aussi trouble, la question est : “quel est le montant de la survie de ma société ?”. Aussi navrant que cela puisse paraître, la géopolitique et ses conséquences économiques nous ramènent tous à la réalité. Faisons en sorte que notre pays change de mentalité et passons de la “négation-minoration-éjection2” chère à Alain Bauer à anticipation-action-solution !
- Robert D. Blackwill, Jennifer M. Harris Warm. War by other means : geoeconomics and statecraft. Cambridge, MA Havard University Press, 2026, 384p ↩︎
- “ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave, ce n’est pas de ma faute“. ↩︎